Epidémiosurveillance en santé animale

Influenza aviaire en Europe : Synthèse de l'avais de l'EFSA, adopté le 14 septembre 2017

Estelle Mollaret 1, Didier Calavas2*, Anne Bronner1*, Eric Niqueux3  
Auteur correspondant : estelle.mollaret@agriculture.gouv.fr

DGAl, SASPP-SDSPA-BSA, Paris, France
Anses, Laboratoire de Lyon, Unité Epidémiologie, Lyon, France
Anses, Laboratoire de Ploufragan-Plouzané, LNR Influenza aviaire et maladie de Newcastle, Ploufragan, France
 
* Membre de l’équipe de coordination de la Plateforme ESA

Mots clés : influenza aviaire, Europe
Keywords : avian influenza, Europe

SYNTHESE DE L'AVIS DE L'EFSA, ADOPTE LE 14 SEPTEMBRE 2017, SUR L'EVALUATION DU RISQUE D'INTRODUCTION ET DE PROPAGATION D'UN VIRUS D'INFLUENZA AVIAIRE EN EUROPE

Lien vers l’avis de l’EFSA https://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/4991

Contexte général

Suite aux foyers d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) H5N8 en 2014/2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a été chargée par la Commission de réaliser une évaluation du risque d’introduction de virus IAHP dans l’Union européenne (UE), notamment par l’intermédiaire des oiseaux sauvages. L’EFSA était aussi chargée d’évaluer le risque du passage de virus de l’influenza aviaire faiblement pathogène (IAFP) des oiseaux sauvages aux élevages de volailles. Une évaluation de la pertinence des mesures de biosécurité, de détection précoce et de protection des volailles en cas de circulation d'IAHP chez les oiseaux sauvages et une évaluation de la stratégie de surveillance globale étaient attendues. Les foyers d'influenza aviaire des années 2015/2016 en France ont mené à des questions supplémentaires sur l'évaluation des caractéristiques de transmission de l'influenza aviaire, sur l'analyse des facteurs modifiant la fréquence de mutation d'un virus IAFP à un virus IAHP et à des questions additionnelles sur l'introduction de l'influenza aviaire et l'examen des outils de surveillance mis en place.
Le présent document fait la synthèse des principaux points soulignés par l’avis de l’EFSA : «Avian influenza», adopté le 14 septembre 2017.
 
Origine des foyers d'influenza aviaire en Europe

Jusqu'à maintenant, les virus IAHP introduits en Europe ont toujours été de sous-type H5 alors que les virus de sous-type H7 ont été générés de façon autochtone en Europe à partir de virus IAFP précurseurs. Exclusivement pour les virus H5 HP, l’avifaune sauvage migratrice a été identifiée par les experts de l’EFSA comme étant responsable des introductions primaires à l’origine de la majorité des foyers d'IAHP détectés chez les volailles depuis 2006 dans l'UE. Tous les virus introduits dans les élevages de volailles européens descendaient dans ce cas du virus d'origine IAHP H5 goose/Guandong (gs/GD) et ont toujours été associés à des infections chez les oiseaux sauvages ; un lien spatio-temporel notable a été mis en évidence entre les foyers concernant les volailles et ceux concernant l'avifaune sauvage (ces derniers étant généralement antérieurs aux précédents). Toutefois, certains autres foyers d'IAHP H5 et tous les foyers d’IAHP H7 européens ont été liés à une mutation de virus IAFP à IAHP : la genèse autochtone de virus IAHP à partir d'un virus précurseur circulant dans les populations de volailles ou l’avifaune sauvage sédentaire est donc une situation qui doit également être envisagée. Dans de rares cas, les foyers d’IAHP peuvent être la conséquence d'une mutation intrinsèque survenant après l’introduction ou la circulation d’un virus IAFP dans l’UE : entre janvier 2006 et juin 2016, seuls neufs foyers primaires d'IAHP étaient dus à des virus issus de virus IAFP précurseurs parmi les 274 foyers primaires et secondaires d'IAFP des sous-types H5 et H7 officiellement déclarés sur cette même période. Depuis 2005, la propagation secondaire de ce type de virus, issu d’une mutation intrinsèque, est restée sans grande conséquence dans l’UE, sauf pour un épisode déclaré dans le sud-ouest de la France en 2015/2016, qui a mené à des apparitions récurrentes de foyers d’IAHP.
Enfin, bien qu’aucun virus IAHP parmi ceux détectés depuis 2010 dans l’UE n’ait révélé un potentiel zoonotique significatif, des virus IAFP et IAHP à fort potentiel zoonotique circulent en Asie (H7N9, H5N6, et H5N1) et en Egypte (H5N1). Ces virus pourraient potentiellement être introduits en Europe.
 
Mutation de virus IAFP en virus IAHP

Le facteur intrinsèque le plus pertinent, connu pour favoriser la mutation d'un virus IAFP en virus IAHP, est le sous-type de son hémagglutinine. En effet, jusqu'à maintenant, seuls les virus de sous-types H5 et H7 semblent pouvoir être sujets à une mutation de leur hémagglutinine par substitution ou insertion, induisant l’inclusion de multiples acides aminés basiques au niveau de son site de clivage. Parmi les 43 foyers primaires d'IAHP recensés dans le monde entre 1959 et 2017, quinze étaient dus à des virus de sous-type H5 et 28 étaient dus à des virus de sous-type H7. L’émergence de virus H5 ou H7 IAHP n’a toutefois pu être reliée ni à leur appartenance à un groupe phylogénétique donné, ni à la présence de marqueurs moléculaires spécifiques. Concernant les facteurs extrinsèques de mutation, une étude sur 42 foyers IAHP a révélé que la majorité d'entre eux (81%) ont été recensés la première fois dans un élevage de gallinacées, cependant il est possible que ce constat soit dû au fait que les virus IAHP entraînent des signes cliniques bien plus notables chez les gallinacés que chez les palmipèdes. Aucun autre facteur extrinsèque lié aux espèces hôtes ou aux conditions environnementales s’avérant utile pour prédire une augmentation du risque de mutation d'un virus IAFP en virus IAHP n’a pu être identifié.
Concernant l'épisode 2015-2016, il est vraisemblable qu'il y ait eu en amont une circulation inapparente de virus IAFP d'origine européenne, possédant (comme les virus IAFP H5 enzootiques dans l'avifaune sauvage en Europe) une hémagglutinine différente de celle des virus issus de la lignée asiatique gs/GD, dans la faune sauvage puis au sein des élevages de volailles. Cette circulation du virus aurait favorisé une mutation en virus IAHP, antérieure ou postérieure à une introduction dans les élevages de canards, qui a mené à une propagation secondaire non détectée et pour finir à un réassortiment avec d'autres virus IAFP présentant différents types de neuraminidase. La circulation du virus IAHP n'a pas été initialement détectée dans les élevages de canards car elle était asymptomatique, et le virus a été détecté la première fois dans une basse-cour de poulets où il a entraîné une forte mortalité.
 
Risques liés à l'avifaune

Les foyers d’IAHP H5 recensés dans l’UE depuis 2006 étaient pour la plupart la conséquence d’une introduction primaire du virus en Europe, par des oiseaux sauvages migrateurs préalablement infectés. Quatre voies géographiques ont été définies dans cet avis de l’EFSA, pour évaluation du risque d’introduction de ces virus dans l’UE, par les oiseaux sauvages migrateurs : une voie Nord-Est (NE ; frontière de l’UE avec la Russie et la Biélorussie), une voie Est (E ; frontière de l’UE avec l’Ukraine, la Moldavie, la mer Noire, la Turquie jusqu’à son extrémité sud), une voie Sud et une voie Nord-Ouest. D’après les résultats obtenus grâce à la modélisation réalisée dans cette étude de l’EFSA, les voies NE et E représentent le risque le plus important d’entrée dans l’UE d’oiseaux sauvages infectés par un virus de l’IAHP H5. Après introduction dans l’UE, la modélisation mathématique a également montré que l’amplification et la propagation épizootique du virus ne surviendrait dans l’UE qu’en présence d’une population d’oiseaux sauvages aquatiques sensibles dépassant une taille critique suffisante.
L’application du modèle mathématique précédent à l’étude de la dynamique d’infection des oiseaux sauvages (et du risque consécutif d’introduction du virus en élevage) a montré que les virus IAFP peuvent atteindre une prévalence maximale similaire à celle de virus IAHP. Cependant, pour une même prévalence du virus dans le réservoir représenté par les oiseaux sauvages, le risque d’infection des élevages de volailles par un virus IAFP est estimé comme étant plus bas que pour un virus IAHP. De plus, le taux de transmission entre les animaux d’un même élevage a été estimé comme étant supérieur pour les virus IAHP, comparativement aux virus IAFP.
Basé sur les données concernant les épizooties d’IAHP H5 chez les oiseaux sauvages entre 2005 et 2017, un modèle a été développé, mettant en relation les prédictions météorologiques et les foyers d’IAHP H5 rapportés chez les oiseaux sauvages. Ce modèle, a permis de produire une carte prédictive du risque relatif d’apparition de foyers d’IAHP H5 chez les oiseaux sauvages en Europe (Figure 1)
 

Figure 1. Carte prédictive du risque relatif d’apparition de foyers d’IAHP H5 chez les oiseaux sauvages en Europe

Figure 1. Carte prédictive du risque relatif d’apparition de foyers d’IAHP H5 chez les oiseaux sauvages en Europe, basée sur une étude des foyers recensés chez les oiseaux sauvages entre 2005 et 2017 et utilisant la méthodologie décrite par Si et al, 2010 (EFSA, Octobre 2017)
 
 
Autres facteurs de risque
L’introduction des virus IAHP et IAFP dans l’UE par l’intermédiaire de l’avifaune sauvage est estimé comme étant le plus important facteur de risque pour les élevages de volailles. Seules quelques autres voies d’introduction ont été identifiées comme représentant un risque non-négligeable :
- pour l’introduction des virus IAHP en élevage : le commerce, intra-UE et avec les pays tiers, de semence et les mouvements intra-UE de déjections avicoles originaires d’élevages d’ansériformes ;
- pour l’introduction des virus IAFP en élevage : les mouvements intra-UE de volailles vivantes, de poussins d’un jour et de déjections avicoles (de toutes espèces d’oiseaux).
Les aliments ou les litières, s’ils sont accessibles aux oiseaux sauvages pendant leur transport ou leur stockage, représentent également un risque non-négligeable d’introduction en élevage des virus d’influenza aviaire.
 
Mesures de surveillance
La mise en place d’un système de surveillance assurant une détection précoce des infections par les virus IAHP chez les volailles doit prendre en compte les caractéristiques du pouvoir pathogène de ces virus selon les espèces hôtes, mentionnées plus haut. Ainsi, dans les élevages de gallinacés, une surveillance événementielle par notification des cas suspects (signes cliniques/mortalité) est considérée comme étant la méthode la plus efficace pour la détection précoce de foyers d’IAHP. Dans les élevages d’ansériformes, une surveillance efficace se compose d’une surveillance événementielle complétée par une surveillance sérologique et/ou un programme de surveillance virologique ciblé des animaux retrouvés morts pendant la période d’élevage. La surveillance sérologique n’est pas adaptée pour une détection rapide des foyers d’IAFP mais pourrait se révéler efficace pour l'identification - a posteriori - d’élevages infectés par des virus IAFP. Cette mesure, avec mise en place d’un suivi adéquat des élevages identifiés séropositifs, aurait notamment pour objet d'éviter des situations comme celle de la France en 2015/2016. Chez les oiseaux sauvages, la surveillance événementielle est une méthode adaptée pour la surveillance des virus IAHP si l’infection par ces virus est associée à une mortalité, alors qu’une surveillance active des oiseaux sauvages est très peu efficace pour détecter les virus IAHP. Toutefois, une surveillance active ciblée, dans les régions affectées par des foyers d’IAHP chez les volailles, peut contribuer à la détection des infections dans l’avifaune sauvage (y compris en l’absence de mortalité associée) et réduire le risque de nouvelles introductions du virus dans les élevages.
 
Mesures de biosécurité pour prévenir l'introduction et la diffusion des virus IA
Les experts de l'EFSA ont estimé et souligné que la mise en œuvre de mesures de biosécurité spécifiques a un impact considérable sur la réduction de la probabilité de transmission de l'influenza aviaire de l'avifaune sauvage aux volailles. Les mesures de biosécurité envisageables ont été différenciées par les experts selon le type d'élevage, notamment les élevages commerciaux de poulets hors-sol, les élevages commerciaux de poulets avec accès à un parcours extérieur, les élevages de dindes et d'ansériformes, et d'autres types d'élevages plus anecdotiques. Selon les experts, le moyen de prévention le plus aisément réalisable, durable et efficace pour les élevages de volailles hors-sol est d'éviter tout contact direct ou indirect des volailles avec l'avifaune sauvage, en particulier pendant les périodes à risque, à travers le confinement, la mise en place de filets de protection, ou tout du moins la limitation de l'accès des volailles à l'extérieur. D'autres mesures avec un haut niveau de faisabilité et de durabilité sont la séparation des palmipèdes des autres volailles, l'apport d'eau potable aux volailles plutôt que de l'eau de surface non traitée, la mise en place de sas d'hygiène dans chaque bâtiment et une formation en biosécurité du personnel. L'alimentation et l'eau devraient être distribuées sous un toit ou une protection horizontale. Les élevages en plein air font l'objet d'un risque accru d'introduction de l'influenza aviaire et les mesures de biosécurité applicables sont plus limitées. Selon les experts, les mesures les plus faisables, efficaces et durables sont la limitation de l'accès des personnes à l'élevage et une formation du personnel à la biosécurité. Concernant les volailles de basse-cour, les experts ont évalué qu'une formation en biosécurité serait le moyen le plus convenable de prévention de l’introduction de l’influenza aviaire.
Pour limiter une propagation secondaire du virus, les experts ont évalué que les mesures les plus adaptées sont : un confinement pendant leur transport des volailles et du matériel en contact avec celles-ci, un nettoyage/désinfection de l'équipement et des véhicules de transport, des formations en biosécurité et l'utilisation de sas d'hygiène pour chaque bâtiment d'élevage. Les formations en biosécurité et une intensification du contrôle du personnel en contact avec différents élevages de volailles pourraient être utiles pour limiter la propagation indirecte de virus IAHP et IAFP pendant les opérations de grande envergure qui concernent les élevages de volailles commerciaux.
 
Mesures de lutte
Pour l’établissement de zones de contrôle et de surveillance suite à la découverte d’un virus IAHP chez des oiseaux sauvages et notamment dans le cas d’un processus épizootique en phase active de progression, il est suggéré de mettre en place des zones assez étendues plutôt qu’une association de zones restreintes. D'autre part, les zones de contrôle doivent être conçues en tenant compte de l'habitat écologique et des distances de vol des espèces d’oiseaux sauvages infectés. Une déclaration rapide des cas d’IAHP détectés chez des oiseaux sauvages aux éleveurs de volailles pourra contribuer à renforcer la vigilance de ceux-ci au sujet du risque d’introduction de virus IAHP dans leur élevage.
 
 

Tableau 1. Sous-types de virus d'influenza aviaire hautement pathogène détectés dans les foyers en élevage de volailles dans l'UE

 
Tableau 1. Sous-types de virus d'influenza aviaire hautement pathogène détectés dans les foyers en élevage de volailles dans l'UE, novembre 2014-novembre 2017​Source: EMPRES-i 

 

L'avifaune sauvage migratrice représente la voie principale d'introduction de l'influenza aviaire  hautement pathogène dans l'Union européenne. Les mesures de biosécurité mises en œuvre pour protéger les élevages de volailles ont montré leur efficacité, l'absence de contact des volailles avec l'avifaune sauvage étant l'une des mesures de biosécurité essentielles. D'autres mesures concernent notamment les limitations d'accès aux élevages, une formation adaptée du personnel, des mesures d'hygiène pour le transport des volailles.  

 

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