Epidémiosurveillance en santé animale

Bilan de l’IAHP, en 2022, dans le compartiment sauvage en France

Pour l’OFB : Loïc Palumbo, Anouk Decors, Anne Van De Wiele

Pour le laboratoire national de référence : Béatrice Grasland, Eric Niqueux, Audrey Schmitz, François-Xavier Briand

Pour le comité de rédaction VSI de la Plateforme ESA : Jean-Philippe Amat, Sophie Carles, Eric Cardinale, Julien Cauchard, Céline Dupuy, Guillaume Gerbier, Viviane Hénaux, Renaud Lancelot, Célia Locquet, Carlène Trévennec, Sylvain Villaudy

Auteurs correspondants : plateforme-esa@anses.fr 

 

Essentiels

L’année 2022 aura été une année sans précédent vis-à-vis de l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) dans les populations sauvages. Cette situation est liée à des changements épidémiologiques apparus dès le premier semestre, avec trois éléments majeurs :

- De nombreux cas d’infection ont été détectés, regroupés en plusieurs clusters spatio-temporels associés à des épisodes de mortalité d’un niveau exceptionnellement élevé.

- La circulation virale s’est maintenue au printemps et à l’été malgré la montée des températures, avec une circulation active et massive en continu sur toute l’année, sans que de nouvelles introductions en Europe de virus d’IAHP aient été mises en évidence au cours des migrations post-nuptiales (août-novembre 2022).

- Le spectre observé d’espèces fortement touchées était différent de ce qui a été connu jusqu’alors et incluait des espèces à enjeu de conservation. 

Enfin, 2022 aura été marquée par une importante augmentation des cas de maladie et de mortalité liés à l’IAHP chez des mammifères dans le monde (pinnipèdes, mustélidés, renards, ours, …) dont un chat domestique vivant à proximité d’un élevage avicole infecté en France en décembre 2022.

Sources

Données extraites le 01/03/2023 : base de données (Access) de surveillance événementielle influenza aviaire en faune sauvage, OFB- SAGIR.

Nous remercions tous les partenaires qui ont permis les analyses, services territoriaux de l’OFB, fédérations départementales des chasseurs, laboratoires vétérinaires d’analyse, ainsi que la DGAL.

 

Une année avec deux pics majeurs inhabituels en faune sauvage

Description

En France métropolitaine, 3 150 oiseaux morts ont été collectés et analysés pour la recherche d’IA du 01/01 au 31/12/2022 (ce qui représente 3 fois plus d’oiseaux que sur l’année 2021) (figure 1), pour une prévalence apparente l’IAHP parmi les oiseaux sauvages de 24,5 % (soit 2,5 fois supérieur aux taux des années précédentes).

La distribution spatiale et les espèces touchées ont évolué au fil des mois avec des zones fortement touchées telles que la façade maritime des Pays de la Loire, les côtes de la Manche et la voie de migration Meuse-Rhin-Rhône mais avec également des cas épars répartis sur tout le territoire métropolitain.

Tous les cas d’IAHP détectés en 2022 en France étaient liés à des infections par des virus de sous-type H5N1 de clade 2.3.4.4b de la lignée A/goose/Guangdong/1/96, mais au sein de ce sous-type plusieurs génotypes ont été identifiés :

  • De janvier à mai 2022 (génotypes FR1 et FR2 majoritairement présents), puis d’octobre à décembre 2022 (FR2 essentiellement) la circulation virale observée correspondait à des épisodes épizootiques hivernaux similaires à ceux des années précédentes sur le plan épidémiologique avec une circulation majoritairement chez les anatidés, également chez des espèces limicoles partageant le même biotope et ponctuellement chez d’autres espèces. Sur ces périodes, au total neuf génotypes ont été détectés (FR1, FR2, FR3, FR6, FR9, FR10, FR11, FR13, FR14).
  • De mai à septembre 2022, alors que l’épizootie d’IAHP H5 hivernale commençait à s’achever en élevages de volailles dans l’ouest de la France, ont été observées de manière totalement inhabituelle et presque simultanée, des mortalités massives liées au virus IAHP H5 de clade 2.3.4.4b :
    • chez les vautours fauves dans les Pyrénées et les Cévennes ;
    • sur l’ensemble du littoral nord-ouest de la France (Manche et Atlantique),
      • d’abord chez les laridés et plus particulièrement les goélands ;
      • puis chez les sulidés, avec des mortalités importantes de fous de Bassan ;

sans que les virus identifiés chez ces oiseaux sauvages aient de lien avec les virus ayant circulé massivement en élevages de volailles les mois auparavant.

Dans les territoires d’Outre-mer, suite à la détection d’un foyer en élevage sur l’île de la Réunion en octobre 2022, un protocole de surveillance renforcée en faune sauvage adapté aux espèces locales a été mis en place, mais aucun cas sauvage n’a été détecté (deux mortalités suspectes ont été observées et analysées).

Analyse et interprétation

L’apparition de mortalités groupées et massives est une expression symptomatique exceptionnelle pour l’IAHP en faune sauvage, qui avait été déjà observée en 2020-2021 sur des cas particuliers (bécasseaux du Mont St-Michel, et autres cas ponctuels dans le monde) mais qui s’est confirmée et amplifiée en 2022, de pair avec la circulation de génotypes viraux particulièrement meurtriers pour les populations d’oiseaux spécifiquement touchées.

 

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Figure 1. Distribution des analyses de recherche IAHP dans l’avifaune sauvage (3 150 oiseaux collectés) en France métropolitaine entre le 01/01/22 et le 31/12/22. Les zones à risque particulier (ZRP) sont représentées en bleu sur le fond de carte.

Les vautours fauves

Description

  • La première détection d’un vautour fauve positif en RT-PCR ciblant l’IAHP H5 de clade 2.3.4.4.b a eu lieu dans le parc des Cévennes sur un prélèvement réalisé le 12/05/2023.  A posteriori un prélèvement du 03/05/2022 s’est également révélé positif (échantillon congelé).
  • Tous les vautours fauves collectés entre le 3 et le 24/05 dans les Pyrénées, la Drôme et les Cévennes ont été détectés positifs. Ils présentaient une forte mortalité des jeunes au nid, entraînant une perte à l’envol majeure par rapport aux années précédentes.
  • Les analyses sérologiques menées par la suite ont confirmé une large contamination des vautours dans le secteur, et ce pour tous les âges.
  • Les génomes viraux identifiés chez ces vautours infectés étaient similaires entre eux mais différents des virus présents au même moment dans les élevages de volailles géographiquement proches. Ces séquences virales mises en évidence sur les vautours étaient cependant phylogénétiquement proches de cas d’IAHP détectés en Espagne, incluant également des vautours.

Analyse et interprétation

Première description mondiale de mortalité groupée de vautours fauves en lien avec l’IAHP. La perte à l’envol a par ailleurs été accentuée par les conditions climatiques peu favorables (canicule). A noter, qu’un lien avec les placettes de nourrissage, potentiellement approvisionnée par des sous-produits animaux de volailles (réglementairement interdit) a été investigué un temps mais n’a pas pu donner de résultats concluants. 

Goélands (et autres laridés) - estival

Description

  • Le premier épisode affectant majoritairement les laridés a démarré le 11/05/2022 avec les premiers goélands retrouvés morts, positifs pour l’IAHP, dans la Somme (Parc du Marquenterre).
  • Une dispersion des cas vers le nord et le sud a ensuite été observée jusqu’à mi-septembre 2022. Des mortalités, parfois massives, de goélands (argentés, mais aussi marins et bruns) ont été essentiellement observées et quelques cas ponctuels et isolés chez d’autres espèces.
  • En Bretagne, près de 2 000 laridés[1] morts ont été observés dans les zones de circulation active du virus entre juillet et novembre 2022. Le génotype FR9 a été détecté sur ces animaux, correspondant au génotype H5N1-A/Herring gull/France/22P015977/2022-like.

 

Analyse et interprétation

Le génotype H5N1-A/Herring gull/France/22P015977/2022-like est issu d’un réassortiment entre un virus H5N1 et très probablement un virus H13 (sous-type habituellement inféodé aux laridés) ; il était majoritairement associé aux cas d’IAHP détectés chez les laridés, ce qui suggère qu’il puisse être particulièrement adapté aux oiseaux de cette famille.

Fous de Bassan

Description

  • Les premières mortalités groupées de fous de Bassan ont été observées le 03/06 dans la Somme.
  • Une extension a ensuite été observée vers les départements voisins, à commencer par le Calvados avant de se poursuivre jusqu’en Bretagne et s’intensifier au cours de l’été, entraînant une mortalité majeure des jeunes principalement mais également des adultes sur le site nichoir de la réserve des Sept-Îles.
  • Plus de 12001 fous de Bassan morts ont été recensés dans les zones de circulation virale active de Bretagne entre juillet et septembre 2022.
  • La grande majorité des cas de mortalité chez les fous de Bassan étaient en lien avec le génotype FR1.

Analyse et interprétation

Cette vague épizootique soulève des inquiétudes quant à la pérennité des populations française et internationale de fous de Bassan, d’autant plus si un tel épisode devait se reproduire en France et sachant que des situations similaires ont été constatées en 2022 dans d’autres colonies de fous de Bassan (Ecosse, mer des Wadden et Canada).

Mouettes rieuses (et autre laridés) - hivernal

Description

  • A partir de mi-décembre 2022, un dernier épisode a été observé, avec des mortalités massives de mouettes rieuses, d’abord en Île-de-France (ainsi que dans la Manche et en Seine-Maritime) puis se sont poursuivis à partir de janvier 2023 dans le Rhône, avec une extension à la quasi-totalité de la France par la suite.
  • Le génotype incriminé dans cette épizootie est similaire à celui en cause dans les mortalités de goélands de mai à septembre. Toutefois, ce génotype n’a pas été identifié en France entre fin septembre et début décembre 2022.

Analyse et interprétation

La question se pose d’une réintroduction de ce génotype par des oiseaux hivernant en Europe du Nord et ayant été rabattus en France consécutivement à une vague de froid majeure qui est survenue en décembre 2022.

 

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Figure 2. Incidence hebdomadaire (nombre de déclarations par semaine) des cas d’infection par des virus IAHP H5 détectés entre le 01/01 et le 31/12/2022 en France dans l’avifaune sauvage, par groupe d’espèces d’oiseaux sauvages (source : Commission européenne ADIS le 17/04/2023).

Conclusion

 

Le changement de dynamique épidémiologique de l’IAHP dans l’avifaune sauvage et la multiplication de cas chez des mammifères survenue en 2022 en France et plus largement en Europe et dans le monde, a fait émerger des problématiques majeures en termes de santé de la faune sauvage et de conservation d’espèce. Un suivi des espèces fortement touchées (fous de Bassan, vautours fauves, laridés) sera nécessaire dans les prochaines années pour déterminer l’impact démographique de cette crise sanitaire, qui risque de se répéter dans les années à venir.

 

Ce document créé dans le cadre de la Plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA) peut être utilisé et diffusé par tout média à condition de citer la source comme suit et de ne pas apporter de modification au contenu « © https://www.plateforme-esa.fr/ »

 

[1] Données de recensement des mortalités signalées en Bretagne, mis en place début juillet 2022. Ces observations sous-estiment a réalité des mortalités car elles représentent seulement une fraction des mortalités, dont un grand nombre ne sont pas observées (morts en mer, en zone reculée, dégradation et prédation rapide des cadavres, …).

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